On pourrait tout aussi bien dire, c’est quoi l’art d’être grand-mère ou c’est quoi l’art d’être grand-parents. Mais, si on garde la question sous sa forme masculine et singulière, c’est qu’elle renvoie inévitablement à ce monument de la littérature française qu’est Victor Hugo. Le grand homme, entré au Panthéon le 1er juin 1885, accompagné par un cortège de près de 2 000 000 de personnes, a publié sa dernière grande oeuvre en 1877. Elle s’intitule « l’art d’être grand père« . On peut considérer les 27 poèmes qui la compose comme le testament poétique de Victor Hugo. Il y livre ce qui a constitué le sens de tous ses combats, politiques et familiaux. Et sa vision de ce que doit être un grand-père pour ses petits-enfants.
Aperçu en quelques titres
Comment Victor Hugo conçoit-il son rôle de grand-père ?
Ce que voit Victor Hugo dans ses petits-enfants
Il est naturellement intéressant de voir comment Victor Hugo, l’homme aux plus de 2500 plaques de rue, d’avenue ou de place, qui témoignent de son importance dans l’imaginaire national, conçoit son rôle de grand-père. En débutant les poèmes de son art d’être grand-père, dont Lautréamont dira que c’est sa meilleure oeuvre, Victor Hugo donne le sens profond de ce qui l’anime :
Et moi qui suis le soir, et moi qui suis la nuit,
Moi dont le destin pâle et froid se décolore,
J’ai l’attendrissement de dire : ils sont l’aurore.
Comment Victor Hugo se comporte-t-il avec ses petits-enfants ?
On a pu dire de l’art d’être grand-père de Victor Hugo que :
C’est un livre d’avenir, on ne l’a pas encore bien lu.
Et le fait est qu’au fil des 27 poèmes se révèle un grand-père soucieux de gater ses petits enfants, de les entourer de toute son affection et de leur transmettre les valeurs qui lui sont chères.
Autrement dit, pour Victor Hugo, être grand-père, ce n’est pas être censeur, ou compagnon de jeu, c’est :
- Au contraire reconnaître, avec indulgence, et donc affection, les envies de petits êtres qui ne sauraient être mauvaises.
- Gagner ainsi leur écoute et leur attention.
- Et en profiter pour leur inculquer les quelques principes qui les accompagneront toute leur vie d’homme. Ceux-là mêmes qui sont résumés sur le fronton de tous les batiments officiels de France : Liberté, Egalité, Fraternité.
Lesquels principes supposent de suivre les méandres d’un lent apprentissage, notamment, naturaliste et historique. Dans son poème, intitulé « A Georges« , il dit ainsi :
Mon doux Georges, viens voir une ménagerie
Quelconque, chez Buffon, au cirque, n’importe où;
Sans sortir de Lutèce allons en Assyrie,
Et sans quitter Paris partons pour Tombouctou.
Tenant compte des différences de sensibilité de ses deux petits-enfants, il s’adresse à Jeanne sur le même sujet, mais de manière plus intimiste, voire plus impressionniste. Il débute ainsi son poème « A Jeanne » :
Je ne te cache pas que j’aime aussi les bêtes ;
Cela t’amuse et moi cela m’instruit; je sens
Que ce n’est pas pour rien qu’en ces farouches têtes
Dieu met le clair-obscur des grands bois frémissants.
Philosophie de la vie de Victor Hugo
Et citons, pour conclure cette très brève entrée en matière, ce poème, intitulé « Grand âge et bas âge mêlés« , qui donne en quelque sorte le sens que Victor Hugo a voulu donné à sa vie et qu’il veut transmettre à ses petits-enfants :
Mon âme est faite ainsi que jamais ni
l’idée,
Ni l’homme, quels qu’ils soient, ne l’ont
intimidée;
Toujours mon coeur, qui n’a ni bible ni coran,
Dédaigna le sophiste et brava le tyran ;
He suis sans épouvante étant sans
convoitise ;
La peur ne m’étent paset l’honneur
seul m’attise ;
J’ai l’ankylose altière et lourde du
rocher ;
….
Le destin des deux petits enfants de Victor Hugo, Jeanne et Georges
Mais, qu’en a-t-il été du destin des deux petits-enfants ? Que sont-ils devenus ? Et, d’abord, pourquoi leur grand-père en a-t-il faut si grand cas ?
Mort de tragique de Charles Hugo en 1871
Jeanne et Georges sont les deux enfants de Charles Hugo, le 4ème enfant de Victor Hugo, et de Alice Lehaene. Malheureusement, peu de temps après leur naissance, Charles meurt d’un AVC. Le jour du début du soulèvement de la Commune.
Leur grand-père, Victor Hugo, les recueille alors, leur mère et eux, d’abord à Guernesey, à Hauteville House, aujourd’hui, propriété de la vlle de Paris, puis, à Paris même, avenue Victor Hugo, où ils passeront leur jeunesse.
Alice épousera en seconde noce, en 1877, Edouard Lockroy, de son vrai nom, Edouard Simon, fils d’un général d’Empire. Ecrivain à ses débuts, Edouard Lockroy fera une belle carrière politique en tant que républicain radical.
Comme ministre du Commerce et de l’Industrie, il soutiendra, notamment, la construction de la tour Eiffel pour l’exposition universelle de 1889.
Destins contrastés de Jeanne et de Georges
Effets du remariage de leur mère, ou de leurs tempéraments respectifs, toujours est-il que Jeanne et Georges ne montreront guère les qualités attendus par leur grand-père, à moins que son « libéralisme » éducatif n’ait eu un résultat exactement opposé.
Jeanne, une femme capricieuse, au bord de la folie
Jeanne défraya longtemps la chronique mondaine par ses nombreuses foucades et ses divorces à répétition. Mariée en1891, en grande pompe, à Léon Daudet, le fils d’Alphonse, l’auteur, entre autres, du « Petit Chose » et des « Lettres de mon moulin », elle en divorce 4 ans plus tard.
Dans leur journal, les frères Goncourt, ne comprennent pas.
La haine de cette jeune fille pour ce jeune mari, qui l’adorait et ui l’aime encore et auquel elle n’a à reprocher que des violences de paroles venant de sa jalousie, est inexplicable. Je ne puis l’exliquer que par un état cérébral touchant à la folie.
Disent-ils, sans aménité, aucune. Ce qui ne l’empêche pas de se remarier, quasi dans la foulée, avec Jean-Baptiste Charcot, le célèbre médecin, navigateur et sportif, en 1896.
Lequel mariage ne guère plus longtemps que le premier, puisqu’elle divorce, à nouveau, en 1905, pour se remarier, une fois de plus, un an plus tard, avec Michel Negroponte.
De cette vie mouvementée, restera un fils, Charles, celui qu’elle aura eu avec Léon Daudet. Lequel, au demeurant, s’illustrera politiquemeent, aux antipodes de Victor Hugo. Puisqu’il sera un fervent partisan des thèses d’Edouard Drumont. Peut-être par réaction à l’enfer que lui a fait vivre Jeanne.
Georges, un homme tourmenté et suicidaire
Moins brillant en société que sa soeur, Georges ne sera pas, lui non plus, épargné par les tourments de sa filiation. Il fait ses études à Janson-de-Sailly et bientôt étudie la peinture avec Ernest Ange Duez. Puis, ses études achevées, s’en va par mers et par océans, comme simple matelot pendant 3 ans.
Il prend le temps, quand même, de se marier en 1894 avec Pauline Ménard-Dorian, une riche héritière, issue d’une famille de maîtres des forges. Mais, il divorce, vrai atavisme familial, en 1901. De cette union naîtra le peintre Jean Hugo (1894-1984).

Puis, comme sa soeur, à nouveau remariage. Dans le même cadre familial, puisque la nouvelle épousée s’appelle Dora Charlotte Dorian. Dont il aura un fils, François Hugo (1899-1982).
Il meurt d’une congestion pulmonaire, en 1925, seul et criblé de dettes. Dans une soupente, au numéro 2 de la rue de l’Elysée. Il laisse derrière lui, notamment, une collection de dessins réalisés dans les tranchées pendant la guerre 14-18. Pus quelques écrits, comme ses « Souvenirs d’un matelot » ou « Mon grand-père ». Et voilà tout.
Psychogénéalogie plutôt que mauvaise éducation
Quand on confronte ce que sont devenus Jeanne et Georges pendant leur vie d’adulte et le portrait qu’en dresse Victor Hugo pendant leur enfance, on est naturellement frappé par ce qui peut sembler une incohérence. Comment avec un tel grand-père, si affectueux, si proche de ses petits-enfants, si souieux de leur transmettre ses valeurs républicaines, en est-on arrivé à un tel gaspillage de talents et de ressources ?
La psychogénéalogie, qu’est-ce que c’est ?
Peut-être la solution est-elle dans les entrelacs tissés par la psychologie telle que Anne Ancelin Schützenberger l’a théorisé dans son livre « Aîe, mes aïeux » publié pour la première fois en 1988.
Elle y indique que son but est d’analyser les liens trangénérationnels, les secrets de famille, la transmission des traumatismes qui pèsent sur les attitudes individuelles et d’apprendre à utiliser le génosociogramme pour s’en libérer.
Exemple d’analyse psychogénéalogique : la famille Hugo
C’est ce qu’a fait Henri Gourdin, de manière expérimentale, avec son livre intitulé « Les Hugo« . Il a ainsi suivi les actions-réactions qui se sont imposées aux différentes générations de Hugo à partir du premier couple fondateur, celui qui a donné naissance à Victor Hugo.

On passe ainsi de la naissance illégitime de Victor Hugo à la maltraitance par son père, le général, de Léopold, son premier enfant. Puis, on s’arrête à la folie, celle de son frère Eugène et celle de sa fille, Adèle. Et on en arrive, enfin, à l’étouffement familial, celui de Léopoldine, qui finit par se noyer. Mais aussi, de Charles et de François-Victor, ses autres enfants.
Autant de raisons pour que les liens trangénérationnels fassent leur oeuvre et finissent par effacer toutes les bonnes intentions à l’égard des petits-enfants.
Autrement dit, l’art d’être grand-père, cela ne consiste pas seulement à transmettre une expérience et des valeurs, c’est aussi savoir débarrasser les petits-enfants des chaînes cachées qui les relient à un passé qui est le leur, sans être pour autant le leur.
L’art d’être grand-père est un art complexe
On l’a vu à partir de l’exemple donné par les Hugo. Mais, on aurait tort de limiter cet art au cercle familial. Car, l’art d’être grand-père, c’est celui que peut exercer un être d’expérience, c’est-à-dire un senior, sur un autre être qui ne demande qu’à apprendre.
D’ailleurs, c’est le thème du roman d’Ali Smith, « Automne« . Elle y raconte la relation amicale qui se noue entre un centenaire, reclus dans une maison de retraite, et une jeune femme, qui vient lui faire la lecture.
De fait, c’est l’Activité préférée des retraités. Accessible, même avec un minimum vieillesse, car les livres, ça peut s’acheter d’occasion et ça se prête.
Dans le livre d’Ali Smith, des échanges qui naissent des lectures se profile, peu à peu, outre un rejet catégorique de l’âgisme, un sens profond de la vie dont profitent, bien sûr, les lecteurs qui en sont les spectateurs invisibles.