Qu’on l’accepte ou non, la mort est une réalité indépassable, c’est la finitude de l’existence humaine. Et pourtant, à chaque fois qu’on y est confronté, c’est l’incompréhension totale. D’où le tabou, ou le rejet de la mort. Autrement dit, on préfère ne pas y penser. Ou si on y pense, on veut croire que cette finitude peut être brisée. Religieusement, c’est la promesse chrétienne. Scientifiquement, c’est la promesse transhumaniste. Quoi qu’il en soit, quand les derniers moments approchent, et ils arrivent toujours, mieux vaut être préparé à les affronter. Et cette préparation commence par le choix de la bonne attitude face à la mort.
Aperçu en quelques titres
C’est quoi le tabou, ou le rejet de la mort
Définition du tabou de la mort
Malgré son caractère inéluctable, ou justement à cause de ce caractère, la plupart du temps on cherche à évacuer le plus possible tout ce qui a trait à sa mort naturellement prochaine. On ne parle d’ailleurs pas de « mort » prochaine, mais de « fin » prochaine.
Et dans des sociétés, somme toute, hyper sécurisées comme le sont les sociétés modernes, la mort est devenue un sujet quasiment tabou. De sorte que lorsqu’on s’y intéresse, c’est pour rechercher à tout prix la meilleure façon d’y échapper. Bref, de rejeter la mort.
Les manifestations courantes du rejet de la mort

Le jeunisme
Le jeunisme est assurément une façon pour ceux qui le colportent d’écarter tout ce qui peut rappeler que toute vie a une fin. Mais, c’est quoi au juste le jeunisme ? C’est avant tout une attitude. Une attitude qui consiste à privilégier tout ce qui est jeune ou fait jeune. Une attitude qui se traduit ainsi, par exemple, dans des propos ou des principes excessivement favorables aux jeunes. Ou encore, dans l’adoption de modes de vie ou d’accoutrements propres aux jeunes générations et qu’on ne s’attend pas à voir repris par des générations manifestement plus âgées.
L’âgisme
L‘âgisme est aussi une attitude. Mais, à l’inverse du jeunisme, elle est surtout le fait des jeunes générations. Ou qui se considèrent encore comme telles. Elle consiste à montrer son mépris pour les personnes âgées et à tenter de les « effacer ». Ce qui se traduit par beaucoup de marques d’irrespect dans la vie quotidiene et de prises de position visant à les faire « disparaître » le plus rapidement possible de la circulation. Certains débats sur l’euthanasie ou l’élargissement du droit funéraire à l’humusation y font, malheureusement, lourdement penser. On peut y voir une des causes de l’isolement croissant des personnes âgées et de leur rupture avec leur environnement habituel.
Jeunisme et âgisme sont ainsi deux attitudes qui constituent l’avers et le revers d’une même impuissance face à la mort et dont les conséquences sont indubitablement des facteurs de décivilisation.
C’est quoi la bonne attitude face à la mort
Les stratégies anti-âges

Evidemment que la mort fait peur. Raison pour laquelle on fait tout ce qu’on peut pour la retarder et pour l’apprivoiser. Pour la retarder, on compte pour ça sur la multitude des stratégies anti-âge et sur l’efficacité du suivi médical. Plus on dispose de moyens, plus on a de chance d’y parvenir. Surtout dans une optique transhumaniste.
Mais, ce n’est pas toujours qu’une question de moyens. C’est aussi une question de volonté. Il est certain, par exemple, qu’une bonne hygiène de vie, qui ne dépend que très peu des ressources dont on dispose, contribue à prolonger l’existence.
Choisir sa mort
Cela peut paraître paradoxal. Mais, si on veut bien y réfléchir un instant, décider du moment et des conditions de sa mort, ou de celle d’un proche, c’est, d’une certaine façon, montrer que, finalement, on la maîtrise. Ce n’est pas elle qui décide, mais soi-même en toute liberté. C’est déjà ça, même si, en vérité, c’est peu de chose.
Le fait est que c’est bien ainsi que peuvent s’analyser, en définitive, bien des déclarations en faveur de l’euthanasie ou du suicide médicalement assisté. Or, ce soutien, parfaitement compréhensible, de ce point de vue, n’est bien souvent que le masque derrière lequel se dissimulent des intentions bien moins louables.
Sauf, bien entendu, si on considère que les êtres humains sont une ressource comme une autre et que cette ressource peut, et même doit, se gérer comme telle, à savoir, comptablement. En bref, trop de vieux, ou d’incurables, ça coûte. Inutilement.
Ne trouve-t-on pas, en effet, certains « ingénieurs sociaux » prêts à déclarer que, passé 65 ou 70 ans, il n’est plus utile d’envisager, par exemple, des greffes d’organes pour des malades ayant franchi la limite fatidique ?
Là encore, de la façon dont on réagit à de telles propositions dépend la qualité de la civilisation à laquelle on appartient.
Peut-on banaliser la mort ?
Le rejet de la mort vu par Pawel Lisicki
Dans sa dystopie, l’écrivain et journaliste polonais Pawel Lisicki décrit ce que peut être le monde de demain à l’horizon 2200 si les tendances observées aujourd’hui dans ce domaine sont menées jusqu’à leur aboutissement final, autrement dit, un eugénisme social généralisé.
En l’occurrence, dans ce cadre dystopique et romanesque, cet aboutissement se traduit par la nécessité de détenir un certificat d’existence pour échapper à l’obligation de se rendre dans une « clinique de la bonne mort ».
Exagération ?
Le rôle des dystopies analysé par Pierre Bayard
Oui et non. Dans ses ouvrages tels que « Demain est écrit » ou « Le Titanic fera naufrage« , l’écrivain et psychanalyste Pierre Bayard démontre comment une œuvre littéraire peut être réellement anticipatrice.
Un des exemples les plus remarquables de cette capacité anticipatrice est le roman de Morgan Robertson intitulé le « Naufrage du Titan« . L’auteur y raconte l’histoire d’un paquebot, décrit comme le plus grand navire de son époque et considéré comme insubmersible, qui coule dans l’Atlantique après avoir heurté un iceberg. Son naufrage s’accompagne de nombreuses victimes faute d’avoir un nombre suffisant de canots de sauvetage.
On croirait lire l’histoire du Titanic, mais, « petit » problème, le roman a été publié en 1898, sous le titre original de « Futility« , soit 14 ans avant le naufrage du Titanic, lui, bien réel. Ce n’est pas le seul exemple recensé par Pierre Bayard. Raison pour laquelle il esquisse une théorie qui catégorise certains romans comme autant de scénarios plausibles d’une réalité qui ne demande qu’à prendre forme.
Ce que dit la tradition chrétienne
La tradition chrétienne a ceci de particulier qu’elle donne une place centrale à la mort sans pour autant la banaliser. La mort y est permanente, à la fois comme fin et comme commencement. Son symbole le plus évident est, bien sûr, celui de la Croix.
Et on voit bien que la diminution de l’impact de ce symbole va de pair avec la déchristianisation opérée par la société moderne. Elle ne peut que se traduire par ‘une conception du monde dans laquelle la Résurrection fait figure de mythe ou de superstition.
Le grand théologien qu’a été Benoit XVI s’est penché avec acuité sur cette question fondamentale. Parfaitement conscient qu’elle constitue la clef de voute du christianisme, et donc d’une conception désangoissée de la mort.
Pour peu, naturellement, qu’on suive le « droit chemin ». Pour sa part, Benoit XVI s’est efforcé de démontrer qu’on pouvait concilier le fait majeur qu’a été la Résurrection avec l’analyse historico-critique dont il a été largement l’objet et qu’il convient maintenant de dépasser.
En tout cas, si on comprend bien les développements du magistral tome 2 de son Jésus de Nazareth, sous titré « De l’entrée à Jérusalem à la Résurrection« .
L’éclipse de la mort et l’anxiété qu’elle génère
Quoi qu’il en soit, et en résumé, il n’est pas inutile de se référer au livre récent du philosophe Robert Redeker, intitulé « L’éclipse de la mort« . Il y montre toutes les conséquences ontologiques d’une existence de laquelle le rejet de la mort a pris le dessus. A la fois, dans les termes et dans les faits. La mort n’est plus la mort mais quelque chose qu’on appelle fin de vie. On cache les mourants et on rêve sur une humanité immortelle.
La mort a disparu de la cité, a-t-il écrit par ailleurs, autant que de la vie quotidienne. Elle a été exfiltrée vers des endroits spécialisés. Elle qui était si familière aux humains, si mêlée à leur vie quotidienne jusqu’ici. La mort- qui a longtemps été un évènement public- s’est retirée dans la sphère privée et a disparu de la cité. Des contemporains atteignent désormais la cinquantaine sans avoir vu un cadavre de leur vie.
Tout cela est loin d’être neutre. Le rejet de la mort, c’est un peu comme le refus des saisons. C’est un peu comme si on en refusait l’automne et l’hiver. Sauf que, et c’est tout le sens porté par la tradition chrétienne, ce remaniement de l’ordre naturel des choses ne parvient pas à s’accompagner vraiment d’un nouveau sens donné à la vie et génère une anxiété difficile à réprimer, surtout chez les seniors.
Dans ces conditions, l’éclipse de la mort, devenue en quelque sorte tabou, participe du même mouvement visant à assurer la suprématie d’une culture choisie sur une nature imposée. Pas sûr, que l’Homme Dieu que cela suppose en sorte gagnant.