A première vue, le profil des seniors français ne peut rien avoir de comparable à celui des seniors japonais. Assertion qui, d’ailleurs, n’étonne personne tant les différences de vie, pour ne pas parler de culture, paraissent énormes entre les deux pays.
Du moins, telles sont les choses en apparence. Car, si on y regarde de près, la place qu’occupent, aujourd’hui, les seniors japonais dans leur société pourrait préfigurer celle qu’occuperont, demain, les seniors français, dans la leur, d’ici 10 à 15 ans.
A moins que ce shéma d’évolution ne soit brutalement remis en question par une politique migratoire radicalement différente.
Aperçu en quelques titres
Importance du nombre des seniors japonais
L’époque où les seniors étaient considérées comme des poids dont il fallait se débarrasser au plus vite n’est plus. Eh, oui ! Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les seniors japonais n’ont pas toujours été bien perçus. Comme l’écrit l’auteur d’un mémoire pour Sciences po, Marie-Line Nottin :
Autrefois, les personnes âgées, ainsi que les handicapés, étaient rejetés et mis à l’écart. Une coutume ancestrale obligeait à les abandonner dans les montagnes.

Aujourd’hui, les plus de 75 ans sont plus nombreux que les plus de 15 ans et les plus de 65 ans représentent près de 30 % de la population totale. Ce qui fait, à l’heure actuelle, plus de 36 millions de personnes, dont près de 100 000 centenaires.
Evidemment, comme toujours quand il s’agit de démographie, les grands nombres finissent par imposer leur loi.
Influence des seniors japonais sur la société japonaise
Du fait de leur poids démographique, et, bien sûr, de l’évolution des mentalités, plus question d’abandonner les « vieux » dans les montagnes. Bien au contraire, les seniors japonais bénéficient désormais d’une image très positive.
Journée des seniors japonais en septembre
Au rebours d’un âgisme toujours prêt à se répandre dans les sociétés dominées par les attitudes individualistes, les seniors japonais sont plutôt célébrés. Signe de ce nouvel ordre des choses, le 3ème lundi du mois de septembre est celui de Keiroho Hi. Autrement dit, c’est le jour consacré aux aînés.

A cette occasion, outre d’avoir décrété que ce jour était un jour férié, le gouvernement japonais fait cadeau d’une coupe à saké à chacun des centenaires de l’année. Quant au secteur privé, il n’est pas en reste. En effet, de grands groupes commerçants comme Rakuten en ont fait un jour spécial pour leur business.
Tradition récente de la journée des seniors japonais
Preuve s’il en est besoin de la mutation récente du regard posé par les japonais sur leurs aînés, le Keiroho Hi n’a été institué qu’en 1966. Et, avant cela, c’est au village de Nomatami, aujourd’hui, Yachiyochi, que revient sa toute première mise en oeuvre, en 1947.
Principales caractéristiques des seniors japonais
Au fond, au-delà d’une image globalement « bienheureuse », le profil des seniors japonais est plutôt contrasté et n’est pas sans donner du fil à retordre aux pouvoirs publics.
Les seniors de la « silver economy »
Contribue largement à cette image « bienheureuse », toute cette frange des seniors pour qui la retraite n’est plus une fin, mais le début d’une nouvelle vie. Ce sont ces seniors-là, les Rôjinryoku, qu’on a pris l’habitude au pays du soleil levant de respecter parce qu’ils constituent les forces vives du « grey power ».
Le « pouvoir gris », celui pour lequel se battent les start up de la « silver economy » qui cherchent à capter une partie de leurs ressources. Lesquelles sont loin d’être négligeables.
Mode de vie des seniors de la silver economy
Combien sont-ils exactement ? Difficile à dire.
Toujours est-il que c’est à eux que s’adressent toutes ces offres faites pour des consommateurs avertis, disposant d’un fort pouvoir d’achat, mobiles et indépendants. Allant des mangas « spécial seniors » à la porno grise ; 25 % des films pour adultes, quand même; dont la star, Shigeo Tokuda, frôle allègrement les 85 ans.
On peut voir le fringant acteur, Shigeo Tokuda, en pointant son appareil photo sur le QR code ci-après.
Prêts, en tout cas, à s’investir dans de nouvelles activités. Raison pour laquelle, certains sociologues ne veulent même plus parler de « personnes âgées » pour les seniors ayant moins de 75 ans.

Les seniors sous la coupe de leur belle-fille
Ce sont les seniors de la société traditionnelle japonaise. Ceux qui vivent avec leurs enfants et petits enfants. Sous le même toit et aux bons soins de leur belle fille.

C’est ainsi que le veut la Tradition. Situation, pourtant, de moins en moins tenable dans des villes encombrées où le coût des logements est tel que la surface réservée à chacun y est de plus en plus restreinte.
Les seniors abandonnés
Leurs familles ne les emmènent plus dans les montagnes. Elles les oublient, tout simplement. Et, souvent aussi, les autorités publiques. Beaucoup de centenaires, notamment, « s’évaporent » sans qu’on sache ce qu’ils sont devenus.

Quant aux seniors, isolés, oubliés, avec peu de ressources, ce sont eux qui alimentent principalement les bataillons des seniors qui diparaissent volontairement. Autrement dit, les Kodo Kushi.
Prise en compte par les pouvoirs publics japonais du poids des seniors dans la société
Naturellement, ici comme ailleurs, le grand nombre de seniors donne des sueurs froides aux pouvoirs publics. Qu’il s’agisse de la question du financement des retraites ou de celle de la protection sociale.
Le financement des retraites au Japon
Comme en France, le financement des retraites au Japon repose largement sur la solidarité intergénérationnelle et sur un système combinant régime de base et régime complémentaire. Ressemlance bien commode quand on est « titillé » par l’idée de prendre sa retraite à l’étranger.
Pour résoudre les conséquences financières de l’écart grandissant entre cotisants et pensionnés, l’âge du départ à la retraite a été progressivement allongé. Cependant, tout est fait pour que les pensions servies ne régressent pas au fil du temps.
D’une manière générale, le système de protection sociale des retraités japonais est moins développé qu’en France. Cela résulte du fait qu’il est admis que c’est aux familles que revient la charge d’assurer une grande part de cette protection.
Différences et similitudes entre le profil des seniors japonais et le profil des seniors français
Les similitudes entre le profil des seniors français et celui des seniors japonais
Par beaucoup d’aspects, le profil des retraités français rappelle celui des retraités japonais. Ils partagent une espérance de vie comparable, 87,74 ans pour les femmes et 81,64 ans pour les hommes, au Japon ; 85, 3 ans pour les femmes et 79,2 ans pour les hommes, en France. Par ailleurs, comme au Japon, on y trouve beaucoup d’adeptes de la silver economy.
Un des livres les plus vendus au Japon, en 2018, qui s’intitule « J’ai 90 ans, et alors? » a ses équivalents en France. De fait, parmi les meileures ventes on y trouve, par exemple, des titres comme :
- Mémé, de Philippe Torreton.
- La tête en friche, de Marie-Sabine Roger.
- Mémé goes to Hollywood, de Nadine Monfils.
Et, on peut en citer bien d’autres, sans oublier toute la panoplie des guides pour bien vieillir. D’évidence, cette offre conséquente en matière d’édition, entre autres, n’existerait pas s’il n’y avait pas, en face, une forte demande de la part des seniors. Ainsi, avec ses inévitables adaptations locales, celle-ci est globalement la même en France qu’au Japon.
Les différences entre le profil des seniors français et celui des seniors japonais
Cela dit, il y a tout de même une très grosse différence. Différence qui peut, d’ailleurs, les résumer toutes. En effet, les seniors japonais sont beaucoup plus nombreux que les seniors français.
De sorte que les seniors japonais constituent plus du tiers de la population totale. Ils ne peuvent donc être ignorés. Alors que les seniors français n’en forment, aujourd’hui, encore qu’un tout petit peu plus de 20 %.
C’est une différence de taille, car le regard qu’on porte sur un segment de population dépend inévitablement du poids tout simplement démographique qu’il représente. Et donc de l’influence qu’il peut avoir, ou pas.
Et, cela d’autant plus qu’au Japon aucun flux migratoire ne vient compenser statistiquement le déséquilibre d’une pyramide des âges qui a la forme d’un triangle reposant sur sa pointe. Alors qu’en France, l’existence de ce flux contribue à réguler la montée en puissance de la population seniors.
En résumé
Le profil des seniors français a bien des points communs avec celui des seniors japonais. Et, de ce fait, compte de la différence de poids relatif dans la population totale, le profil des seniors japonais peut préfigurer celui des seniors français quand le nombre de ces derniers atteindra celui des seniors japonais.
Cependant, de nombreuses différences subsistent. A commencer par la différence de poids relatif. Laquelle peut être largement contrebalancée dans ses effets, notamment sur les politiques publiques, par l’existence, en France, d’importants flux migratoires. Alors que ces mêmes flux sont faibles au Japon.