Paru fin janvier 2022, le livre de Victor Castanet sur les Ephad, intitulé les Fossoyeurs », est réellement choquant. Et on peut dire que sa lecture est indispensable, dès lors qu’on envisage l’admission d’une personne âgée dans un Ephad. Une telle décision n’est jamais facile à prendre, car il y entre beaucoup d’affect. Par suite, les critères de choix sont rarement appropriés. Ils sont soit complétement subjectifs, soit faussement objectifs. Or, au-delà de sa dénonciation, le livre de Victor Castanet se révèle être un excellent moyen de regarder ce qui doit être passé en revue en priorité. Et cela pour éviter un hébergement qui peut vite devenir catastrophique.
Aperçu en quelques titres
Un hébergement catastrophique dans un Ephad, c’est quoi ?
On a tendance quelque fois à l’oublier, mais tout n’est pas merveilleux dans le meilleur des mondes des Ephad. Loin de là ! Et il s’agit moins de faire des considérations faciles sur les méfaits de l’âge et du grand âge, que de se concentrer sur la manière dont il est souvent pris en charge.
Autrement dit, sur ce qu’il faut bien appeler la maltraitance des pensionnaires hébergés dans certains Ephad. Laquelle réduit considérablement leur espérance de vie et rend, en général, leurs derniers moments extrêmement douloureux.

La triste fin de Françoise Dorin (1923 – 2018), célèbre parolière dans les années 70 et compagne de Jean Piat, formidable Robert d’Artois, dans les Rois maudits, que décrit Victor Castanet dans le chapitre intitulé, « Qui a tué Françoise Dorin ? », de son livre « Les fossoyeurs », en est une terrible illustration.
A noter qu’à la suite de ses révélations, Victor Castanet a été entendu par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale et en a profité pour demander qu’une commission d’enquête soit lancée.
Trois grands facteurs de maltraitance pour les pensionnaires d’après Victor Castanet
Le premier facteur de maltraitance résulte de l’insuffisance des soins dont peuvent bénéficier les pensionnaires. Ce qui concerne, notamment, des choses aussi banales que la disponibilité de protections en nombre et en qualité suffisante. Ou encore, par exemple, la qualité de leur alimentation.

Victor Castanet signale ainsi que dans l’Ephad, pourtant haut de gamme, avec des tarifs mensuels dépassant 6000 euros par mois, qui lui sert de point de départ pour son enquête, les pensionnaires n’ont droit qu’à 3 couches par jour, et encore de mauvaise qualité, quel que soit leur état, et à deux biscottes pour leur petit-déjeuner.
Le deuxième grand facteur, dont le premier n’est souvent qu’une conséquence, est lié à l’importance et à la qualité du personnel dévolu au suivi et à l’accompagnement des pensionnaires.

Certains Ephad, dont celui décrit par Victor Castanet, ont une politique du personnel telle qu’elle se traduit par un turn-over incessant de tout le personnel et par son insuffisance chronique.
Du personnel d’encadrement au personnel soignant et aux auxiliaires de vie. D’où l’impossibilité d’un réel suivi. En nombre et en qualité.
Mal soignés, malmenés par un personnel « surbooké », les pensionnaires maltraités sont de même, troisième grand facteur de maltraitance, des pensionnaires exploités. Souvent volés, surfacturés à la moindre occasion, ils sont aussi, quelque fois, victimes de traitements médicamenteux abusifs.
Cause systémique et institutionnelle de la maltraitance
La première cause de la maltraitance des pensionnaires en Ephad est, la plupart du temps, liée aux modalités adoptées pour leur gestion. Au pire, celle-ci est entièrement fondée sur les mêmes principes que ceux qui régissent une production industrielle ou une distribution de produits de grande consommation.
Cause systémique de la maltraitance selon Victor Castanet
Ainsi, d’après Victor Castanet, pour les dirigeants du groupe auquel appartient l’Ephad sur lequel il a enquêté, pour l’un, la mission du groupe, « c’est de faire du parcage de vieux« , et pour l’autre :
Gérer des personnes âgées en maison de retraite, c’est exactement comme vendre des baskets.
Victor Castanet, Les Fossoyeurs, éditions Fayard, page 123.
Autrement dit, dans le cadre d’un tel système de gestion, ce qui compte, c’est ce que donnent les tableaux Excel. Plus précisément, l’alignement permanent de la masse salariale et des achats de fournitures sur le Taux d’Occupation prévisionnel.

Cela, de façon à dégager le profit net le plus élevé possible. Au mieux des intérêts des actionnaires et des investisseurs. Ce qui, de fait, conduit à des manipulations de chacune des deux grandes variables par le recours, le plus possible, aux vacataires et à la mise en place, en particulier, d’accords-cadres avec des fournisseurs acceptant de faire, entre autres, des rétrocessions.
Cause institutionnelle de la maltraitance
La gestion d’un Ephad fait intervenir un grand nombre d’acteurs, dont des acteurs institutionnels comme la Sécurité Sociale, les ARS, l’inspection du travail et les Conseils départementaux.
Cette multiplicité ne facilite pas les contrôles. D’autant qu’à la multiplicité des acteurs s’ajoute la complexité du traitement des données. Et cela, sans même parler de la difficulté pour les obtenir.
Victor Castanet cite ainsi la façon désinvolte dont la demande d’information d’une ARS est traitée par le groupe faisant l’objet de cette demande.
Par suite, il peut en résulter un grand sentiment d’impunité de la part de gestionnaires d’Ephad peu soucieux de la qualité humaine de leurs services.
Que faire pour éviter les risques de maltraitance dans un Ephad ?
L’ouvrage de Victor Castanet, indépendamment des suites qui seront réservées à sa dénonciation, a le mérite de mettre l’accent sur les critères de choix réellement essentiels qui doivent être pris en compte par les familles avant de placer un être cher dans un Ephad.
S’informer sur le mode de gestion financière
La première chose à faire est sûrement de s’intéresser au mode de gestion retenu par l’Ephad. S’il appartient au secteur privé, il faut naturellement prendre connaissance de ses rapports d’activité et l’importance qu’il y donne, notamment, à l’Ebitdar.
Autrement dit, au bénéfice avant impôt et avant loyer. Pour faire simple, au taux de marge. Et à plus forte raison, si l’Ephad appartient à un groupe coté en bourse.

En général, on y considère qu’une entreprise qui dégage un Ebitdar de plus de 30 % est une entreprise très performante. Financièrement parlant, bien sûr.
Or, dans le secteur des Ephad privés à but lucratif, un Ebitdar proche de 30 %, et encore plus, s’il est supérieur à 30 %, s’il convient bien à des investisseurs, n’est pas forcément un bon signe pour les résidents.
On peut aussi, à défaut de s’y retrouver dans les chiffres, aller jeter un coup d’œil sur le parcours professionnel des principaux dirigeants. Via, par exemple, des réseaux sociaux tels que LinkedIn ou Facebook.
S’informer sur la gestion du personnel
Un indice qui ne trompe pas, c’est celui de l’importance du personnel chargé de s’occuper des pensionnaires. Un effectif insuffisant n’est pas, non plus, bon signe.
Et encore moins, si les agents employés par l’Ephad occupent principalement des emplois de vacataires ou de CDD.
Pour couronner le tout, une direction d’Ephad qui change de titulaire à un rythme élevé est également mauvais signe.
Résister à l’attrait des actions marketing
Une plaquette, si jolie soit-elle, ne rend pas compte d’une réalité. Pas plus qu’un slogan. Ni même une journée portes ouvertes forcément organisée pour montrer l’Ephad et ses résidents sous son meilleur jour.
A noter, par ailleurs, qu’un prix d’hébergement élevé, comprenant une multitude de services, ne va pas obligatoirement de pair avec des prestations de qualité.

Lorsque le moment arrive où il faut conduire une personne âgée dans un Ephad, sa famille ressent, souvent, un immense sentiment de culpabilité.
Et pour l’atténuer, elle est prête à consentir de gros sacrifices financiers dans l’espoir d’agir au mieux pour ce parent qu’on est obligé de placer en Ephad.
Rechercher un Ephad accessible
Les pensionnaires auxquels la famille peut rendre fréquemment visite sont, en général, mieux traités que ceux que leur famille semble avoir oubliés.
Mais, pour assurer ce « contrôle » familial, encore faut-il que l’Ephad ne soit pas trop éloigné du lieu de résidence habituel du membre de la famille qui se dévouera le plus pour aller voir le pensionnaire.
Ce n’est pas là une simple formalité dont on se « débarrasse » en fonction des places disponibles. Cela doit être l’objet d’un choix réfléchi et d’une décision préparée longtemps à l’avance.
Ce point est d’autant plus important que les pensionnaires sont des personnes d’une grande vulnérabilité. En effet, une partie d’entre eux est incapable de faire savoir à leur entourage ce qui ne va pas.
Avoir une idée du profil des pensionnaires
Ce n’est pas toujours le plus facile à faire. Les pensionnaires les plus vulnérables ne sont, en général, pas les plus visibles.
Mais, il arrive, quand même, qu’on laisse les différentes populations se mélanger. Et, entre autres, que des pensionnaires, relevant d’un dispositif plus protecteur qu’un Ephad, se trouvent, néanmoins, mêlés à des pensionnaires plus ordinaires. A leurs risques et périls.
Cela simplement pour permettre à l’Ephad de maintenir son TO (Taux d’Occupation) à un niveau proche de 100 %. Et pour certains, au-delà, comme le suggère l’enquête menée par Victor Castanet.
En résumé, les leçons du livre de Victor Castanet
Placer un parent dans un Ephad est un acte vital. Si le choix est bon, la personne âgée pourra passer ses derniers moments d’existence dans les meilleures conditions possibles. Meilleures même que celles qui pourraient être les siennes au sein de sa famille.
Mais, si ce choix s’avère mal réfléchi, la personne âgée peut alors vivre un véritable enfer qui abrégera, sans aucun doute, ces derniers moments. Sans qu’elle puisse communiquer sur la maltraitance dont elle est victime.
Or, ce qui ressort de l’enquête menée par Victor Castanet, c’est qu’il appartient aux familles de prendre toutes les précautions possibles avant de placer un parent dans un Ephad, dont celle d’en vérifier le mode de gestion, et de s’assurer par elles-mêmes que ce parent soit traité correctement et avec dignité.
Seule façon de l’aider à achever sa retraite de manière aussi paisible qu’il l’a commencée et poursuivie.