La question de la réforme des retraites est une bonne illustration de l’importance qu’il y a à savoir sur quelle base on veut fonder les relations entre « jeunes » et « vieux ». Elle y est essentiellement vue d’un point de vue comptable. Ainsi, pour beaucoup de « jeunes », les « vieux » apparaissent comme un poids qui devient, chaque jour, de plus en plus insupportable. Beaucoup de « vieux » ne sont pas loin de penser de même. On comprend alors dans quelle perspective peuvent s’inscrire d’autres réformes comme celle visant à faciliter le suicide assisté. Mais, les relations entre « jeunes » et « vieux » n’ont pas toujours eu ce caractère dramatique. On peut même dire que le tour qu’il prend est plutôt éloigné de ce qu’il a été, à juste titre, pendant des siècles.
Aperçu en quelques titres
Qu’est-ce qu’un vieux, qu’est ce qu’un jeune ?

âge chronologique et âge subjectif
D’évidence, l’âge qu’on a, fixe des limites, mais ces limites sont variables. Ces limites sont principalement d’ordre physiologique et d’ordre intellectuel. Suivant l’entrainement reçu et les caractéristiques propres à chacun, ces limites varient d’un individu à l’autre indépendamment de l’âge.
La toute première conséquence de ce qui n’est qu’un constat, c’est que toute mesure générale basée sur l’âge est nécessairement inadaptée pour une fraction plus ou moins importante de la tranche d’âge concernée.
Quand on en est conscient, ce qui est rarement le cas, on peut y apporter les correctifs qui s’imposent normalement, mais le plus souvent ces correctifs ne font qu’aggraver la complexité de la mesure que l’on veut prendre sans réellement la rendre plus performante. Alors, « jeunes », « vieux », de quoi parle-t-on ?
« Jeunes » jusqu’à quand ? « Jeunes » pour qui ?
Il peut sembler tout d’abord abusif de parler de « jeunes ». Le mot est le type même du mot valise dans lequel on met tout ce qu’on veut. Suivant le contexte, ce fourre-tout est positif ou négatif.
On peut néanmoins s’accorder sur le fait que le mot « jeunes » va de pair avec « immaturité ». Ou si on préfère « pas arrivé pleinement à maturité ». Comme on peut le dire d’un vin, d’une récolte, d’un livre, d’une entreprise, d’un produit, etc.
Le constater n’est en rien une façon de dévaloriser ce qui est « jeune », bien au contraire, mais seulement une manière de rappeler que ce qui est « jeune » est en devenir et nécessite par là même des soins attentifs pour que le passage à la maturité ait lieu dans de bonnes conditions.
Autrement dit, rien de plus faux qu’une sacralisation de ce qui est « jeune ». Par nature, ce qui est « jeune » est en attente de quelque chose qui permette de « grandir ». C’est là où le « vieux » peut entrer en scène et a un rôle à jouer.
« Vieux » à partir de quand ? « Vieux » pour qui ?
On a tendance à considérer aujourd’hui qu’un « vieux » est inutile , voire même nuisible, parce qu’il coûte cher à la collectivité et qu’il ne produit plus rien. C’est là-dessus que se fonde l’âgisme ou le mépris de l’expression « Ok, Boomer« .
C’est là un lieu commun extraordinairement fallacieux. Certes bien des « vieux » peuvent donner l’impression par leurs attitudes et leurs comportements qu’ils n’ont guère évolué depuis leur plus jeune âge.
Ils sont toujours dans le même « bac à sable ». Autrement dit, malgré le nombre des années et les expériences, ils sont toujours prisonniers du processus mimétique, pourtant simple à comprendre, mais sans doute trop simple justement, à l’œuvre dans toute relation sociale.
Ce n’est heureusement pas le cas de tous. Clint Eastwood, du haut de ses 91 ans, en donne une illustration magistrale dans son dernier film, « Cry Macho », sorti en septembre 2021.
Pour bien comprendre le processus mimétique et s’en servir pour éviter les errements dans lesquels toute relation sociale peut tomber, et entre autres, les relations entre jeunes et vieux, on peut lire ou relire l’œuvre de l’anthropologue René Girard, et notamment, « Des choses cachées depuis la fondation du monde », « Shakespeare : les feux de l’envie » ou « Je vois Satan tomber comme l’éclair ». Selon lui, en effet :
La tendance mimétique fait du désir la copie d’un autre désir et débouche nécessairement sur la rivalité.
Trois conditions pour rendre fructueuses les relations entre jeunes et vieux

Oublier le comptable pour de meilleures relations entre jeunes et vieux
Dés lors, si d’un côté, on a des « jeunes » en attente de maturation, ou en devenir, et de l’autre des « vieux » ayant bien compris ce qu’est la vie, et en particulier, le rôle essentiel qu’y joue le processus mimétique, on a là de quoi nouer un dialogue particulièrement fructueux entre générations.
Et de fait, ce dialogue n’a alors plus rien de comptable. Envolées les statistiques diffusées à l’envi montrant le décalage entre le nombre des « vieux » et celui des « jeunes » !
Oubliés les calculs hypothétiques à partir des taux de croissance de l’économie et les supputations sur les niveaux respectifs des revenus à venir ! Entre autres !
Ce qui a vraiment de l’importance, c’est la valeur « immatérielle » de chacun et la manière dont on parvient à créer cette valeur. Et là nul doute que des relations non expressément comptables entre « jeunes » et « vieux » sont un élément essentiel de la partition.
Redécouvrir l’humilité
Sur quoi les relations entre jeunes et vieux peuvent-elles aussi être fondées ? D’évidence, reconnaître ce qu’on est constitue un pilier fondamental de ces relations. Jeune ou vieux, on n’a rien de divin.
Et c’est se mettre dans une bonne disposition d’esprit pour évoluer, pour les uns et pour transmettre, pour les autres, de cesser de croire qu’on peut tout faire et qu’on est capable de tout.
C’est reconnaître, en somme, que les uns et les autres sont dépendants les uns, des autres.
S’imposer des limites
Puisque ce qui compte vraiment, c’est la valeur « immatérielle » de chacun, puisque personne ne possède de science infuse, il est sage et prudent de pouvoir s’imposer des limites et d’essayer de s’accorder sur une certaine « verticalité ».
Les plus jeunes chercheront donc à identifier ces limites et les plus vieux les y aideront sans que les premiers ne fassent de tristes expériences et les seconds ne s’emberlificotent dans de fausses règles de vie.
Autrement dit, il y a des choses qui se font et d’autres qui ne se font pas, et cela depuis que le monde est monde. Le décalogue analysé par René Girard dans une perspective anthropologique en est un bon exemple.
Pour penser que les interdits culturels sont inutiles, comme le répètent sans trop réfléchir les démagogues de la « modernité », il faut adhérer à l’individualisme le plus outrancier, celui qui présuppose l’autonomie totale des individus, c’est-à-dire l’autonomie de leur désirs. Nous dit René Girard.
Qu’est-ce qui se passe quand on fait comme si tout ça n’existait pas ou était sans importance ? Quand on tombe justement dans l’individualisme le plus outrancier ?
Difficultés des relations entre jeunes et vieux
Impact des différences de valeurs sur les relations entre jeunes et vieux
Le premier résultat de l’individualisme outrancier, on peut dire également d’un « moi-misme » exacerbé, c’est de renforcer les différences de valeurs entre les générations.
Les valeurs d’une génération sont le fruit de son époque. Ce qui revient à dire qu’elles résultent de l’environnement dans lequel ont évolué les individus pendant les années de leur formation.
D’évidence, les personnes âgées, les seniors ont, de ce fait, un ordre de priorités qui n’a rien à voir avec celui des ados ou des jeunes d’aujourd’hui.
Pour ne citer que cet exemple, la plupart des personnes âgées ont eu une enfance rythmée par les sacrements liturgiques, pour les seniors, ça n’a plus concerné qu’un tiers d’entre eux au mieux, quant aux jeunes d’aujourd’hui, ils ne sont guère plus que 2 à 5% à les suivre.
Dans le même temps, médias, agences de pub, écoles ont quasiment substitué leur conception du monde entièrement matérialiste et fondée sur la satisfaction des désirs à celle portée par l’Eglise. Moyennant quoi « jeunes » et « vieux » ont la plupart du temps le plus grand mal à se comprendre.
Quand ils n’entrent pas tout simplement en rivalité les uns avec les autres, selon le bon vieux processus mimétique.
Modes de vie
A la différence des valeurs s’ajoutent de même, souvent, de grandes différences dans les modes de vie. Ces modes de vie dépendent certes des valeurs, mais pas seulement.
C’est aussi une affaire de goût et de perception de ce qu’est la modernité. Dans modes de vie, il y a le mot « mode ». La mode des années 50 n’est pas celle des années 70 qui elle-même n’est pas celle des « milleniums« .
Ces derniers, par exemple, peuvent adorer des séries télévisées, comme Dexter, qui en est à sa 9 ème saison, alors qu’elles feront hurler d’indignation les spectateurs les plus âgés.
Eloignement spatial et éclatement familial
Autrefois, « jeunes » et « vieux » étaient relativement proches les uns des autres. Spatialement et familialement parlant. Aujourd’hui, les familles de « jeunes » et de « vieux » sont très souvent séparés par beaucoup de kilomètres.
Et comme ces familles, sont en plus, surtout pour les plus jeunes, des familles éclatées, à l’éloignement géographique entre génération, s’ajoute l’éloignement émotionnel.
Combien de « jeunes » ne voulant absolument pas reconnaître leur nouveau père ou leur nouvelle mère ! Situation qui se présentait assez rarement à une époque où le divorce restait quelque chose d’exceptionnel.
En résumé
Les conditions actuelles propres à chacune des générations ne peuvent que générer des situations conflictuelles. Situations qui ne peuvent que dégénérer sans la reconnaissance par chacune de ce que peut apporter l’une à l’autre.
Encore faut-il qu’il y ait quelque chose à apporter ! Le copinage ne mène, en général, pas bien loin. Pas plus que le rigorisme obsolète. Et c’est précisément aux « vieux » qu’il appartient de montrer et de démontrer la richesse du savoir-être qu’ils peuvent partager.
Pour ce faire, les « vieux » doivent avoir bien conscience que les « jeunes » sont naturellement demandeurs et qu’il convient de répondre avec justesse à leur demande.
Ce qui suppose que les « vieux » aient fait l’effort nécessaire pour comprendre et transmettre ce qui est réellement important. Et pour ça, il n’est jamais trop tard pour commencer et bien faire. En retour, ils auront l’immense plaisir d’être écouté et de se sentir utiles.
Bref, c’est ainsi qu’il devient possible de renouer avec d’antiques traditions, tout en restant moderne, et de se souvenir avec Goethe que :
L’erreur nous va bien tant que nous sommes jeunes ; mais il ne faut pas la trainer avec soi jusque dans la vieillesse.